Randonnée Châtenois / Château du Bernstein

Date de l'étape : 30 décembre 2006

Distance : 18.00 km

Par la sortie Nord, nous nous éloignions en file indienne, en une belle matinée ensoleillée, de Châtenois. Dès 9 heures, nous étions en route pour une nouvelle journée de randonnée promise à un superbe panorama sur la plaine d'Alsace, depuis les hauteurs, après la visite de quelques châteaux médiévaux environnants.

En chemin, Jacques notre guide nous relata l'origine de Châtenois, due à la présence de châtaigniers aux alentours. Au milieu des vignes, après avoir quitté la route principale, il nous fit profiter d'un inépuisable récit dont les évènements eurent des répercussions retentissantes dans toute l'Europe. En 1525, l'existence des paysans s'empira avec l'ajout de nouveaux impôts et des conditions de vie plus que mauvaises. Il est courant qu'un pareil cadre soit propice aux révoltes. Ainsi, le soulèvement gagna Strasbourg, se propageant dans l'Est et se perpétuant jusque dans la plaine d'Alsace. La colère paysanne trouva son écho au pied même du château de l'Ortenbourg et se prolongea vers le sud. Ici, bien que suffisamment organisés, les paysans se firent massacrés, dans un bain de sang, par l'armée victorieuse.

Raison pour laquelle dit-on de l'Alsace qu'elle est une terre de batailles, le carrefour des conflits.

Après cet entracte historique, un bref regard vers la colline, face à nous, nous rappelait, à juste propos, que le château de l'Ortenbourg nous narguait depuis son bloc rocheux et que nous foulions en cet instant précis le sol d'un théâtre sanglant.

Sur le parcours du GR5 « Crête des Vosges », nous suivions une route campagnarde bordée de châtaigniers. Par un sentier à droite, nous pénétrions dans la forêt communale de Scherwiller, prémices de l'ascension jusqu'au troisième et dernier château de notre circuit.

Nous étions de plain-pied dans la Nature, avec ces feuilles mortes tapissant le sol et un faible vent agitant le sommet des arbres. À mi-chemin de la première forteresse, nous atteignions un vaste plateau dont l'aspect évoquait, à travers les blocs de rocher éparpillés, la forêt de Fontainebleu. Ici, une halte nous permit d'apprécier l'environnement végétal et de découvrir le versant vosgien entre les arbres masquant la vue.

Nous voilà repartis pour monter jusqu'au ruines du château de Ramstein, perché à 390 mètres d'altitude. Son accès est formellement interdit en raison de sa dangerosité et sa proximité avec le contrebas.

Cette première fortification était construite pour tenir le siège de l'Ortenbourg, à une centaine de mètres plus haut. Datant du 13è et 17è siècle, le château fort de Ramstein se souligne par son immense donjon pentagonal. Depuis une rambarde, un premier choc me cloua sur place : sous mes yeux s'étendait, à plus de 440 mètres d'altitude, une large partie de la plaine d'Alsace.

En dépit d'une perspective brumeuse, il était aisé de deviner les contours gracieux de la Forêt Noire. Puis je fouillais la plaine du regard, sur un demi cercle, à la quête de ce détail qui rend si vivante une région. L'œil aiguisé pourrait différencier les parcelles de terrain ou les formes dessinées au loin ; mais le ciel bas s'obstinait à masquer l'élégance derrière les nuages envahissants. En revanche, à ne pas rater la vue plongeante sur Scherwiller, la ville la plus proche dans cette circonscription oculaire.

Après la pauvresse d'une telle description, je rejoignis mes compagnons de route à l'intérieur du château de Ramstein. À ciel ouvert, les ruines exhibaient leur histoire. Le fameux donjon fit le témoin discret de notre casse-croûte, tandis que Jacques nous plongeait des siècles en arrière avec l'historique des lieux.

Et pourtant, l'heure du déjeuner était éloigné encore. Vite fait, nous reprenons le cours de notre ascension, dans la direction nord-est. Le sentier s'enfonçait au bout de quelques heures dans une nouvelle forêt, le Bernstein. D'un côté, nous longions une lignée de sapins et de l'autre, des pins sylvestres.

Notre guide eut alors l'audace, sans sourciller, de nous insuffler un léger trouble à propos d'une plante singulière qui, à son contact, a l'extraordinaire possibilité de faire perdre toute notion de repère. Paraît-il que d'anciens randonneurs continuent à rôder dans les bois, bien des années après, sans pouvoir retrouver la sortie. Info ou intox ? Le nom de ce phénomène, ou plutôt de cette plante, a complètement évacué ma mémoire, preuve de mon faible intérêt à son égard. Quand bien même, cette zone à risque fit surtout naître, dans notre groupe, de nouvelles théories, aussi farfelues les unes que les autres, et, au mieux, un rehaussement de notre bonne humeur.

Un moment, la piste quitta la forêt épaisse pour la longer de l'extérieur, en une ligne sinueuse. Ce qui nous permit d'apprécier une nouvelle fois une minime partie du versant alsacien. En remontant ainsi, par d'autres chemins plus ou moins escarpés, nous gagnions le point d'orgue de notre journée.

Derrière les arbres, dans une clairière, à 560 mètres d'altitude, se distinguaient les ruines du château du Bernstein, « le rocher de l'ours ». Edifié sur un rocher de granite en bout de crête, sur les hauteurs de Dambach-la-ville, il conservait un charme particulier, à l'image du vieux-château de l'île d'Yeu bravant les éléments déchaînés au bord des récifs vendéens ou celui de la forteresse du Coudray-Salbart en Poitou-Charentes, se la coulant douce au pied de la Sèvre Niortaise.

Pour notre déjeuner, Jacques avait transporté des provisions capable de nourrir tout un régiment ! La table de bois sur laquelle nous avons dressé les victuailles, au pied même du Bernstein, ne comportait plus un espace vital où poser ses coudes. Le comble !

Au menu : un florilège de spécialités alsaciennes. Les citer ici demanderait un gros effort de mémoire, n'ayant pris aucune note en mangeant ; aussi ne le ferais-je pas. Notre appétit fut si rassasié que la réserve de charcuterie et de fromage fut vite épuisée.

Après ce repas arrosé de bonnes bouteilles de vin, nous visitions l'intérieur du Bernstein. Partiellement restaurée, la forteresse (13è siècle) a l'avantage de bénéficier d'un très beau paysage sur la plaine d'Alsace, mieux que depuis l'Ortenbourg. Du haut du donjon, accessible par un escalier plongé dans l'obscurité, un aperçu panoramique à 360° assaille le regard. À perte de vue, l'horizon fourmille de détails, malgré un faible ensoleillement. Ce lieu d'observation, encadré par une bordure forestière, mérite que tout visiteur s'y attarde, tant la sensation de contemplation est infinie !

Aussi loin que pouvait porter notre regard, nous demeurions fixé sur différentes perspectives. Le silence absolu, à une telle hauteur, fut appréciable dans notre admiration. Enfin, j'oubliais mes récents tracas professionnels pour ne penser qu'à l'avenir.

En fin de visite, au bas de l'édifice, un sentier balisé nous dirigeait désormais vers la plaine, afin d'atteindre Dambach-la-ville. À travers la pinède et entre les fourrés, nous descendions sans nous presser le pas. En dépit de l'air refroidissant, une particulière chaleur m'accaparait, mélange de sueur interne dû à l'effort physique et de senteur boisée.

Une heure entière nous fallut pour ajuster notre prochaine étape sur une ligne de mire commune, au détour d'un chemin longeant des vignes. Passage obligé, la chapelle Saint Sébastien offre un ossuaire en parfait état, ainsi qu'une vue plongeante sur le village médiéval de Dambach-la-ville. Ceinturé d'une muraille en granit, celui-ci préserve l'usage traditionnel des tuiles rouges des maisons. Par une tour médiévale rehaussée d'un véritable nid de cigognes, nous sommes entré dans la cité. L'émerveillement nous saisissait à chaque détour de ruelles, en découvrant ici une façade peinte aux couleurs vives ou là, une toiture agencée de plusieurs manières différentes. Notre circuit historique se prolongea dans un bar, nommé communément « winstub ». L'endroit, agréable, dévoilait ses boiseries traditionnelles.

Après ce repos et quelques lèche-vitrines, nous étions à nouveau sur le départ – ou plutôt sur le chemin du retour car notre boucle allait prendre bientôt fin. En outre, le déclin du jour rafraîchissait déjà la plaine. Nous avons quitté Dambach-la-ville par une autre tour, à l'opposée de la première.

Avec la nuit tombante, les flambeaux crépusculaires, ornés d'une teinte orangée, égayaient un paysage devenu ténébreux et triste dans sa composition. Notre marche dans la pénombre naissante nous faisait jouir d'un spectacle unique : les collines qui nous entouraient se confondaient entre elles afin de devenir une seule et même courbe divisant la terre et le ciel. Cet effet s'accentuait avec l'auréole qui d'ordinaire accompagne le coucher de l'astre solaire. Sur la plus haute colline, dans un arrière-plan obscur, se détachaient les colonnes murales du château du Haut-Kœnigsbourg. Cette ambiance renforçait l'impression que nul être vivant ne peut se croire supérieur à une Nature si précise et totalitaire.

Les lampes torches furent actionnées. Guidés par ce jeu de lumière, nous suivions la direction de Scherwiller. Auparavant, une halte s'imposa à un kilomètre du village, sur les hauteurs, dans la chapelle du Taennelkreux. Elle se rendait visible de loin grâce au sapin enguirlandé, planté au centre du jardin jouxtant l'édifice religieux.

À l'approche de Scherwiller, la nuit noire fut l'unique témoin de notre traversée du village. Le silence nocturne fut, à juste titre, seul roi en ce bas monde. Toutefois, nous nous sommes régalé en surprenant, au coin de superbes demeures, des décors de Noël qui allumés embellissaient, soit leur jardin, soit leur devanture. Ainsi les rues s'illuminaient somptueusement de mille feux.

Quittant la féérie de cette âme festive, nous empruntions une voie romaine. Dès lors, chacun de nous sans exception n'avait qu'une hâte : rentrer d'urgence, puis se reposer. Car les visites nocturnes, lorsque rien n'est visible à cent mètres à la ronde, cela devient vite inutile et ennuyeux.

Le retour à Châtenois, au terme d'une ultime demi-heure de promenade, s'annonça tranquille. Notre hôtelière de l'établissement Beysang fut agréablement prévenante dès que nous passions à table. Nouvelle occasion de bavarder entre nous et de savourer encore des spécialités typiques, arrosées évidemment du meilleur vin.

Château du Bernstein

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