Trekking Refuge du Grand Bec - Refuge du Bois (Hauts de la Vanoise)

Date de l'étape : 11 août 2018

Altitude maxi : 1600 m

Dénivelé + : 200 m

Dénivelé - : 930 m

Durée : 6h30

La journée s'annonçait longue et ensoleillée. Cette étape allait m'amener à la découverte d'une partie de la Vanoise que j'ai à peine foulé jusqu'à lors : la vallée glaciaire de Champagny. Agnès, la gardienne du refuge du Grand Bec, n'a eu de cesse de mettre en garde l'itinéraire qui franchit le passage de la Grande Marianne, arête rocheuse surplombant la vallée de Bozel. Or les orages passés ont rendu instable le sentier vertigineux et très escarpé conduisant au col de la Galinette. Son avertissement alarmiste a semé en moi un sérieux doute sur mon tracé du jour.

La fraîcheur matinale avait dissipé les derniers sillons de la brume de la veille. Un voile nuageux a plané encore au-dessus des vallées de Pralognan et de Bozel mais les cimes s'éclaircissaient et s'illuminaient d'une belle auréole orangée à mesure que le jour se levait. Et le ciel était peint d'une promesse où devait régner une transparence et une chaleur sans faille.

Sans vouloir prendre de petit-déjeuner, je me mis en chemin alors que la combe sous la Pointe de la Vuzelle était encore dans l'ombre. Le sentier descendant serpente dans un vallon puis dans la forêt de Bois Blanc, en virages serrés, jusqu'au Plan Fournier (1723 m), au-dessus du village du Planay. Ce hameau est une étape pour plusieurs randonnées pédestres, dont l'ascension au refuge du Grand Bec, la Cascade de la Vuzelle et le Mont Chevrier. Depuis une piste carrossable, panorama sur la Dent de Villard : point culminant d'une longue crête, en grande partie boisée, qui sépare l'étroite vallée de Pralognan de la large zone vallonnée de Courchevel. Cette crête est remarquable par son profil peu accidenté, par la couleur uniformément blanche des roches qui la constituent et par son relief de détail très particulier, très raviné sur ses flancs et "lunaire" sur sa crête, qui est criblée de dépressions décamétriques.

Au hameau du Plan Fournier, je passai de l'ombre à la lumière. L'étouffante chaleur gagnait en puissance, dès 10h ; j'ôtai ma polaire. Je cherchai le sentier de la Tour du Merle, mal indiquée sur la carte IGN et peu mentionnée correctement sur les panneaux. Je tournai en rond : est-ce due à une fatigue croissante ou au poids de mon sac qui se faisait davantage ressentir sur mes épaules frêles ? Toujours est-il qu'évoluer dans cette vallée inconnue, sans guide, sans repère et sans préparation, me mis dans l'embarras et me fit hésiter sur cette variante en remplacement de l'arête de la Grande Marianne, malgré le danger représenté suite aux orages.

Aux chemins de terre succédait une route qui, en épingle, conduisait au Planay, village accroché à flanc de montagne, et traversait plusieurs hameaux d'estive : Chambéranger, Gros Murger, La Rochette, Mollard, Pelapoët, Le Saut, etc. Ce regroupement d'habitations est désigné par le terme "Les Montagnettes". Ma marche improvisée fournissait un panorama grandiose sur la vallée du Doron de Bozel, dans un cadre verdoyant constitué d'alpages d'été et de prairies de fauche. Une herbe grasse et odorante incitait à la contemplation et à l'oisiveté. Or je devais avancer sans pouvoir profiter pleinement de cette vue estivale. Plus bas, au hameau du Pelapoët (1615 m), un sentier de randonnée s'orienta vers la Tour de Merle, rocher belvédère avec sa croix surplombant la vallée et visible depuis la route. Je le sus que bien plus tard : j'ai emprunté cette direction trop en aval. Il aurait fallu m'engager depuis le Plan Fournier ou, à partir de Pelapoët, prendre de l'altitude à travers la prairie. Mon manque de préparation ne me permit pas de le comprendre d'emblée. Ainsi j'ai poursuivi ma trace sur la piste sans modifier ma hauteur. Deuxième erreur d'appréciation de la journée !

Je suivis le chemin des Ouvrages EDF, témoin de la Centrale hydraulique de Champagny-Ballandaz, au-dessus du Villard du Planay. Ce village alpin porte toujours les stigmates d'un passé industriel lourd et révolu. Longeant une paroi rocheuse aux filets de protection (contre les chutes de pierre), je surplombais en balcon la vallée de Bozel et le village du Planay. À une courbe, j'abordai la Forêt Noire de Champagny-en-Vanoise (Nord-Est). Je fus arrêté net par un éboulement de pierres barrant la piste pour le Roc du Moine. Imposant, le gros éboulis semblait également instable. Par prudence, je revins sur mes pas ; alors je découvris une piste forestière s'élevant en sous-bois, en direction de la Tour du Merle. L'ascension sous couvert de bois de résineux s'est avéré soutenue, alternant des passages assez pentus avec des espaces horizontaux permettant de récupérer son souffle. La montée a duré près d'une heure quinze. À hauteur de la Combe d'Enfer, au-dessus de Champagny-en-Vanoise, une bifurcation proposait deux directions : Tour du Merle / Plan Fournier et Enclos du Seil / Chalets de Méribel / Champagny-le-Haut. Autrement dit, après un fastidieux et pénible détour, je retrouvai le chemin à suivre dès le début au départ du Plan Fournier. Loin d'avoir économisé mes forces, ma variante inopinée sur un itinéraire accidenté m'a affaibli. La voie à observer descendait vers l'Est jusqu'aux enclos du Seil, évoluant toujours sous une forêt d'épicéas et enjambant parfois de faibles éboulis, dont un tellement vaseux que je m'étalai à plat ventre. Sans le savoir, c'était le premier stade d'un effondrement mental. Je me remis sur pieds, toujours obstiné à persévérer dans ma foulée.

Deux heures passèrent avant de pouvoir sortir de la forêt, à l'entrée d'une clairière et au début du sentier du "Tour de La Plagne". C'est un circuit rectiligne mi-ombragé mi-ensoleillé qui chemine le long du Doron de Champagny en rive gauche et qui passe aux abords du hameau du Bois (1470 m). Mes jambes s'étaient raidi ces dernières heures, m'amenant à boiter et à éprouver des douleurs élancées aux épaules.

Encaissé dans un vallon aux portes du Parc national de la Vanoise, Le Bois est un hameau tranquille à l'architecture préservée au pied de la Grande Casse et de la Grande Motte. Un pont chevauchait le Doron de Champagny, torrent aux eaux glacées qui coule à une vitesse incroyable et prenant sa source au glacier du Génépi. La clarté de l'horizon débutait de la vallée glaciaire de Champagny-le-Haut (1500 m), havre de paix et lieu de quiétude, et se prolongeait jusqu'au glacier de la Grande Motte (3653 m), sommet du massif de la Vanoise.

Compte tenu du rythme lent et de la pénibilité de ma course, toutes mes forces m'avaient abandonné. Je pris le temps de réfléchir à la situation. Mon programme du jour prévoyait de traverser le vallon de Champagny, de continuer vers le Laisonnay d'en Bas et de longer en amont la Cascade du Py, avant de conclure au refuge de Plaisance (2170 m). Au mieux, trois heures à ajouter au circuit, au pire quatre heures minimum avec mon engourdissement progressif. Vu l'heure tardif et mon épuisement, je me résolu à finir la journée au hameau du Bois. Un seul refuge est situé dans ce bourg typique savoyard. Le Chalet-Refuge du Bois est un gîte auberge de montagne, dont les dortoirs sont cloisonnés en boxes-cabines de 4 lits. Il leur restait de la place. À l'accueil, par leur intermédiaire, j'annulai ma réservation au refuge de Plaisance. Sitôt une douche prise et mes affaires déballées, je sortis profiter du jardin ombragé et de la terrasse du chalet d'alpage. Une vaste aire de jeux est aménagée à proximité pour les enfants. Je restai assis une heure sans pouvoir me relever, face à l'inertie de mes membres inférieurs. Je fis un effort supplémentaire pour retourner à mon dortoir, afin de masser mes mollets et faire une courte sieste avant le dîner.

Dans un décor montagnard chaleureux, la salle de restaurant est un véritable musée (murs ornés de tableaux, gravures, vieux objets de montagne), avec une bibliothèque et un salon autour du coin cheminée central. Cuisine simple et soignée. Assiettes gourmandes garnies de spécialités de Savoie. Ces découvertes culinaires et décoratives apaisèrent partiellement mes écueils du jour.

J'ai perdu la clé des champs dans le Doron de Champagny, au hameau du Bois. Maintenant elle se laisse couler par le tumulte des eaux glacées et fait tinter sa liberté retrouvée sur les roches calcaires.
Avec mes bâtons de marche, j'ai frappé le sol trois fois ; et la vallée glaciaire de Champagny-le-Haut s'est écartée, les crêtes se sont affinées, les cimes de la Vanoise se sont redressées et un passage s'est creusé jusqu'à un verrou rocheux.
Des cascades spectaculaires jaillissent de toutes parts, les bouquetins se profilent sur les versants verdoyants, telles des sentinelles, et les marmottes sifflent pour marquer leur présence.
La Grande Motte veille aussi depuis longtemps sur ce territoire vierge et authentique ; sa présence rassurante et sa face imposante à dominance blanchâtre, au loin, fait de ce sommet culminant à 3653 m d'altitude, aux confins de la sérénité, un royaume préservé de l'agitation humaine.

Refuge du Grand Bec - Vallon de Champagny-le-Haut - Refuge du Bois (1470 m)

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